Le Comte de Bouderbala : «Il y a toujours une pensée politique derrière un spectacle »

Longtemps, il s’est contenté d’un premier spectacle brillant qu’il a porté durant neuf saisons. En fin d’exploitation de son deuxième one-man-show, le Comte de Bouderbala s’est retrouvé contraint par le Covid de rester chez lui au Vésinet, où il avait élu domicile pour élever ses deux enfants. C’est là, en observant la France depuis sa télé et son balcon, qu’il a continué d’emmagasiner des vannes et des idées, matière donc à son troisième spectacle, qu’il défend actuellement sur la scène du République, le théâtre parisien qu’il s’est acheté. Car oui, Sami Améziane est désormais un garçon responsable, propriétaire de deux salles pour mieux asseoir son empire. « Ça me permet d’être encore plus libre, de pouvoir assumer encore plus mon délire et mon humour. J’ai 43 ans, je ne suis plus le gars de 25 ans qui monte sur scène pour dire ses conneries. »

“Les politiques séparent, l’humoriste, lui, tente de mettre tout le monde d’accord

“

Quoique. Cette fois le Comte de Bouderbala se raconte un peu plus tout en s’attaquant aux sujets qui fâchent. À commencer par la politique. « On vit dans un tel manichéisme que les gens ont besoin qu’on leur parle de ça. On est passé au-delà du politiquement correct. Or, nous les humoristes, nous avons quatre-vingt-dix minutes sur scène pour dire ce que l’on ressent. Ce que personne d’autre n’a dans sa vie. » Seul hic, sa parole est à présent écoutée. Et le Comte de Bouderbala a désormais des responsabilités envers les 2 millions de spectateurs qui sont venus le voir depuis ses débuts. « Ce que je raconte a de l’écho car il y a toujours une pensée politique derrière un spectacle. » Cette fois, il évoque la relation franco-algérienne, totalement inexistante, « parce qu’il y a trop de non-dits : le Français aux États-Unis c’est béret et baguette sous le bras. En Algérie, c’est béret vert et Famas sous le bras. Ce n’est pas du tout le même délire… Mon grand-père a été tué par les Français pendant la guerre, ce n’est pas rien dans l’histoire de ma famille. Mais mon rôle est d’être le liant entre les blessures des uns et des autres. C’est trop facile d’attiser la haine. Les politiques séparent, l’humoriste, lui, tente de mettre tout le monde d’accord. »

Sur scène, monsieur le Comte se moque aussi de ses échecs au cinéma, de ses retrouvailles amoureuses avec celle qui partage aujourd’hui sa vie. « Je l’ai rencontrée à 15 ans, le jour où je suis entré au lycée Éluard à Saint-Denis. Ça a été un coup de foudre dans le bus. Mais impossible de lui parler de toute l’année puisque j’ai toujours grandi en regardant mes chaussures. L’été passe, et là j’ai une poussée d’acné… À la rentrée je ressemble à une pizza Regina et tout le monde se fout de ma gueule. J’ai longtemps essayé de la retrouver. Et puis un jour elle est venue me voir sur scène. Elle avait fait sa vie, deux enfants, mais elle venait de quitter son mec. Alors on s’est revus… » Autre point abordé, le scandale CopyComic, le Comte de Bouderbala ayant été soupçonné d’être la source des malheurs de Gad Elmaleh. « C’est pourtant faux et je n’ai rien contre Gad. C’est juste un prétexte pour évoquer la relation de vassalité que nous avons encore trop avec les Américains, Gad revendiquant le stand-up comme quelque chose issu de la culture américaine. Mais non ! Il y a eu les griots en Afrique, les troubadours chez nous, les chansonniers, Molière… Cela dit, quand j’irai voir son spectacle, je prendrai un Dictaphone et un Caméscope. »

Lire aussi. Le Comte de Bouderbala passe à table

Sami vit désormais au Portugal – il revient à Paris le week-end pour se produire dans son théâtre. « Je ne suis pas parti pour raisons fiscales. Mais quand mon fils m’a expliqué qu’on ne voulait pas jouer avec lui parce qu’il était “un arable”, cela m’a rappelé de mauvais souvenirs. Moi, je vais au charbon, je construis quelque chose. Aujourd’hui, j’ai les épaules solides pour me lancer dans le cinéma, pour monter des projets plus ambitieux. » Ravi de s’inscrire dans la tradition des humoristes qui firent la gloire du Caveau de la République, il entend plus que jamais continuer à l’ouvrir. « Le pire pour un humoriste, c’est de se censurer. On se doit de rire de tout, avec tout le monde. » Difficile de ne pas être d’accord.